LA GENEROSITE

   C’est le complément indispensable de Valeurs comme le courage, la responsabilité et le sens de l’honneur.
    Nous nous efforcerons d’abord de cerner le sujet en expliquant ses différents aspects. Nous soulignerons ensuite la crise actuelle de la générosité sans notre société.
    Nous lancerons enfin quelques pistes de réflexion sur la formation des jeunes à la générosité, l’éducation du coeur étant inséparable de celle de l’esprit et du caractère.

1/ DE QUOI S’AGIT-IL ?
    On peut argumenter sans fin sur la notion de Valeur et la classification des Valeurs. N’étant pas philosophes, nous cherchons surtout à remettre le bon sens à sa place, et donc à réhabiliter d’abord des notions qui paraissaient quelque peu perdues de vue. A l’époque où l’on privilégie souvent les facteurs intellectuels et émotionnels, nous voudrions au contraire mettre en relief l’importance du caractère, colonne vertébrale de la personnalité.

    Cela dit, l’homme est indivisible et les Valeurs sont inséparables les unes des autres car complémentaires. Pour être un homme digne de ce nom, il ne suffit donc pas d’avoir un sens élevé de l’honneur ou de la responsabilité, et d’être courageux. Il faut aussi avoir du coeur et le montrer. C’est l’idée essentielle de cette réflexion toute simple qui débouchera sur quelques conclusions en matière d’éducation à la générosité.

Qu’est donc que la générosité ?
 (du latin generosus , de bonne race ) D’après le Littré, c’est la qualité de celui qui donne largement (On parle aussi d’une terre généreuse ou d’un vin généreux), qui est d’un naturel noble (coeur généreux), par extension celui qui est courageux .

    La générosité, c’est aussi la grandeur d’âme, la disposition à la bienveillance, à la largesse, à la bienfaisance. C’est un état d’esprit d’ouverture et de don de soi – même, tout le contraire de l’égoïsme, du calcul et de l’avarice, mais la générosité ne concerne pas que le porte-monnaie.

QUELQUES FACONS D’ETRE GENEREUX

DONNER SON ARGENT
    Si démuni que l’on soit, on trouve toujours un plus pauvre à qui donner un peu de son superflu, voire de son nécessaire. Ce faisant, on manifeste le sens de la solidarité humaine, c’est pourquoi les trois religions du Livre font de l’aumône une obligation pour le croyant.

    Autour de ce principe, on peut faire plusieurs réflexions:
– Le nombre et la diversité des gens qui font la mancheest aujourd’hui tel qu’on peut se demander si donner de l’argent à ces SDF n’en dissuade pas certains de chercher du travail. Ce peut être un prétexte pour ne rien donner à ceux qui en ont besoin!
– Nous sommes aujourd’hui sollicités de toutes parts, d’où la nécessité de faire un choix en fonction de ce que nous estimons prioritaires: les réfugiés ou notre vieille cousine?
– Par ailleurs, sortir une pièce de sa poche, n’est-ce pas une façon simple de nous débarrasser d’un importun en faisant taire notre mauvaise conscience?
La façon de donner vaut mieux que ce que l’on donne. Une pièce accompagnée d’un mot gentil a plus de valeur humaine qu’un billet déposé ostensiblement lors d’une quête. Ce dont les pauvres ont surtout besoin, c’est de notre considération.

    Mais, il ne s’agit pas seulement d’argent … Etre généreux, ce peut être aussi accueillir chez soi des amis en difficulté, prêter sa voiture, partager son repas avec les voisins qui déménagent, voire avec des inconnus …

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DONNER DE SON TEMPS
    En un siècle où tout le monde court contre la montre, la générosité consiste aussi à donner gratuitement de son temps.
    Le travail professionnel fournit déjà des occasions d’en faire preuve en ne comptant pas ses heures, en donnant un coup de main à un collègue. Mais elle s’exprime surtout dans l’activité bénévole qui couvre quantité de domaines indispensables à la Société. L’Etat ne peut pas tout faire et la générosité nous commande de nous occuper des autres.
    Depuis les services élémentaires de voisinage (changer les plombs d’une personne âgée, l’aider à rédiger sa feuille de sécurité sociale, repeindre sa chambre ou simplement lui faire une petite visite…)

 jusqu’au militantisme au sein d’associations caritatives, sportives, culturelles, politiques ou religieuses

, les occasions de donner son temps ne manquent pas et le problème de la retraite se pose souvent en termes de bénévolat.
    Dans ce domaine cependant, il faut faire des choix car on voit, à côté de quelques inactifs, trop de retraités surmenés, tandis que d’autres dispersés entre de multiples organisations.

    Donner de son temps, ce n’est d’ailleurs pas assez. Il faut fournir aussi sa compétence et son dynamisme. C’est particulièrement vrai dans le milieu associatif où le bénévolat ne garantit pas l’efficacité. Sachons donc revendiquer et exercer des responsabilités en fonction de notre expérience et de notre disponibilité, une secrétaire dévouée et assidue étant souvent plus utile qu’un président qui papillonne.

    Donner de son temps, c’est donc se donner du mal. Mais j’atteste, comme visiteur de prison, que notre tâche éprouvante est aussi enrichissante et valorisante.

DONNER SON COEUR
    Il est donc impossible de se dévouer à quelque chose ou à quelqu’un sans y mettre de l’amour. On épuise vite son argent et on est toujours limité en temps, tandis que les réserves du coeur sont inépuisables. Chacun a sa façon d’agir et d’aimer. Les obstacles à vaincre sont la routine et l’égoïsme (parfois à deux) qui mènent à l’endurcissement du coeur.

Etre généreux, c’est aussi savoir pardonner. C’est encore reconnaître ses torts.

TRANSMETTRE LA VIE
    Le rapport entre sexualité et transmission de la vie est apparemment simple et en réalité terriblement complexe. Des couples font un enfant, sans y penser, parce qu’ils s’aiment et qu’ils ont fait les gestes de l’amour. Des couples font un enfant surtout pour se faire plaisir ; c’est aussi le cas de certaines femmes modernes qui se font faire un enfant qu’elles élèveront sans père.
    Certains couples manquent de sagesse humaine et font trop d’enfants par rapport à leurs capacités de leur donner le maximum de chances de se réaliser.

    Il existe encore heureusement beaucoup de cas où l’homme et la femme choisissent d’avoir plusieurs enfants parce qu’ils considèrent que la vie est un bien précieux et qu’il est bon d’appeler des enfants à la vie et de leur donner des chances d’être heureux. Ces gens là renoncent à leur tranquillité et souvent à leur aisance car chacun sait qu’un enfant apporte de la joie mais aussi des soucis, du travail et des privations.

    Ceux qui assument leur paternité et leur maternité de façon responsable, les aventuriers du monde moderne, disait Péguy

… ceux- là font preuve d’une grande générosité.

PROTEGER LA VIE
 Sur les champs de bataille d’autrefois, laisser la vie à un ennemi vaincu et blessé était une marque insigne de générosité.

 Il en va de même aujourd’hui pour ceux qui travaillent pour la vie, soit en militant contre l’avortement, soit, mieux, en aidant des femmes en difficulté à mettre au monde et à élever leur enfant, malgré la pression sociale en faveur de l’IVG.

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DONNER SON SANG
    Risquer sa vie au service des autres est considéré comme la plus haute forme de la générosité. Elle concerne aussi bien le pompier, le policier, le sauveteur que le soldat. A un degré moindre, donner de son sang constitue déjà un geste généreux.

TRANSMETTRE SES CONNAISSANCES
    Une civilisation meurt lorsque les connaissances ne sont plus transmises, a écrit Pierre Chaunu.

 Or cette situation peut se produire s’il n’y a plus personne pour les recevoir ou si l’enseignement est défectueux (C’est la double menace actuelle…)
    Or, l’enseignement suppose outre des connaissances et des aptitudes pédagogiques, attention portée à chacun, dévouement et patience, formes élevées de la générosité. La tâche éprouvante d’éducateur est essentielle et ne concerne pas que les parents et les enseignants. L’ingénieur retraité qui offre ses compétences scientifiques à des lycéens en difficulté fait preuve de générosité. De même les personnes qui donnent bénévolement des leçons aux prisonniers ou handicapés au sein d’associations comme GENEPI ou Auxilia.

2/ LA CRISE DE LA GENEROSITE

    Au delà de la théorie, on relève aujourd’hui une crise de la générosité :

– Le refus de la paternité ou de la maternité par beaucoup de nos contemporains est typique de cette crise. Les Américains ont inventé à ce propos le terme de couple DINK (double income, no kid = double salaire, pas de gosse) pour caractériser ces gens qui cherchent surtout à écarter un possible élément de gêne de leur vie égoïste à deux.

– La crise des vocations est un autre aspect de cette mentalité. Il ne s’agit pas seulement des vocations religieuses mais aussi de la répugnance de beaucoup de jeunes à s’engager dans quelque chose d’exigeant et de définitif : choix d’une carrière, entrée dans la vie active ou mariage…

    A noter que cette crise concerne aussi les adultes qui, par exemple, relèguent trop de vieux parents dans les maisons de retraite (quand ils ne les abandonnent pas chaque été dans des hôpitaux). Dans un autre domaine, bien des dirigeants d’associations se plaignent d’avoir du mal à recruter des bénévoles pour les aider, les relayer et les relever.

– La crise du sang est d’actualité. Les mêmes qui considèrent comme normal de recevoir du sang quand ils sont blessés ne se bousculent pas les jours de collecte.

– L’ambiguïté de la générosité médiatique On doit se réjouir des manifestations de générosité médiatique malgré leur caractère artificiel et éphémère. Les « pros » de la TV savent émouvoir le bon peuple au point, l’effet d’entraînement jouant, d’amener chacun à signer un chèque. Il est en revanche difficile d’amener les mêmes personnes à soutenir régulièrement une personne ou une cause.

EN CONTREPOINT , ON NOTE DE MERVEILLEUX EXEMPLES DE GENEROSITE

    Dans ce contexte général d’individualisme, on peut cependant citer de merveilleux exemples de générosité moderne, chez les jeunes notamment.
– Des garçons et des filles sont moniteurs de colonies de vacances, éducateurs de rues, chefs scouts ou décident de consacrer aux autres un an de leur vie, souvent au loin…
– Des couples qui ont déjà des enfants, adoptent, en plus, un petit handicapé.
A mes yeux , ceux là représentent le plus haut niveau de la générosité .
    Dans le contexte actuel, tous ces exemples sont très réconfortants.

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3/ L’EDUCATION A LA GENEROSITE

    Elle repose, comme les autres domaines de l’éducation, sur quelques principes simples :

– L’éducation du coeur est aussi importante que la réussite au bac et que la formation du caractère …

– Chaque cas est particulier: dès les jeunes années, certains enfants apparaissent particulièrement généreux parmi des frères et soeurs plus intéressés.
    Sachons donc nuancer selon les cas : l’éducation, c’est du « sur mesures« …

– Comme dans l’éducation à l’honneur et à la responsabilité, l’exemple vaut mieux que les discours et, à l’inverse, le contre témoignage est une catastrophe …

– Les jeunes ont besoin de modèles et de héros: sachons leur en proposer, même si ceux là heurtent parfois ce que nous considérons comme le sens de la mesure …

    Pour mettre en oeuvre ces principes, semons la graine de générosité prudemment, progressivement mais opiniâtrement , délicatement et de façon réaliste .

    Prudemment car l’équilibre des jeunes est chose fragile et que se pose souvent pour eux un problème de sécurité. C’est ainsi un fait d’expérience qu’il peut être dangereux, sous prétexte d’ouvrir les enfants aux réalités de la vie, de les mettre trop tôt en contact avec des personnes marginales.
    Ce qui prime, c’est le bien de ceux qu’on éduque et, pour reprendre le sous-titre de l’un de nos livres  » Les parents de Julie« , l’éducation, c’est d’abord du bon sens. Par exemple, il est clair qu’un célibataire ou un retraité ont davantage de liberté d’esprit pour s’engager généreusement à l’extérieur qu’un père de famille qui se doit d’abord aux siens.
    Cherchons donc à apprendre aux jeunes à donner gratuitement mais sachons aussi leur crier casse cou quand ils envisagent de prendre des risques inutiles …

    Mais il nous faut tenir à la fois les deux bouts de la chaîne car l’éducation au risque mesuré est complémentaire de l’éducation du coeur…

 Progressivement car il est un temps pour tout. C’est parce qu’on aura appris au bambin à prêter son jouet qu’on pourra inciter l’adolescent à donner aux autres un peu de son argent de poche ou de son temps. Brûler les étapes risquerait de l’écoeurer.
 Opiniâtrementcar l’éducation est une longue patience. Dans ce domaine comme dans les autres, il faut toujours recommencer sans se lasser.
    Délicatement car il s’agit ici, non pas d’imposer un comportement instantané, mais de tenter de faire naître un état d’esprit qui durera toute l’existence et s’exercera de façon différente selon les personnes, les circonstances et les états de vie.

    Et dans une optique de total désintéressement réaliste pour que le jeune à qui on enseigne la générosité ne se comporte ni en égoïste, ni en poire et qu’il ne s’imagine surtout pas que le bien qu’il fait lui vaudra la reconnaissance de ceux qu’il aide.

    Cela étant, sachons lui inculquer encore deux idées :

– S’il a eu de la chance dans la vie, « renvoyer l’ascenseur » aux autres, d’une façon ou de l’autre, c’est un devoir élémentaire de solidarité humaine.

– C’est aussi l’une des clefs du bonheur.