LE CIVISME

    Le Civisme est l’un des piliers de la société mais il est, comme elle, en crise.
    Même si les citoyens vivent individuellement les Valeurs précédentes, notre société se portera mal tant qu’ils n’assumeront pas davantage leurs responsabilités vis à vis de la collectivité, tant qu’ils ne seront pas davantage imprégnés de sens civique.
   La situation s’aggrave et le péril nous paraît si grand que nous estimons nécessaire de reprendre ici certaines de nos idées déjà diffusées. Elles sont très simples et ne font que réactualiser des notions bien connues mais trop souvent perdues de vue.

    En appui de notre thèse, voici trois opinions émanant de trois sources différentes :
« Le civisme est une valeur civilisatrice moderne qui se vit au quotidien des peuples; il est la marque d’une appartenance à une même collectivité, au service d’une même nation ou des mêmes idéaux. »
( Etats généraux du Civisme. Sorbonne 1986) »Nous sommes en guerre, dans une véritable guerre économique, culturelle et technologique, en danger du fait de l’exaltation effrénée de l’individualisme. Pour être du côté des gagnants, nous ne pouvons nous contenter de former de bons ouvriers ou de bons ingénieurs, NOUS DEVONS AUSSI FORMER DE BONS CITOYENS. »
J.-P. ChevénementParmi les droits de l’homme, il faut inclure le droit au civisme supérieur, le droit de crier et de suffoquer devant les laideurs irrespirables, le droit à la beauté enseignée aux enfants, le droit à la création plutôt qu’à la créativité, le droit à la morale civique, aux valeurs fondamentales de la personne humaine… »

Philippe de Villiers « La chienne qui miaule »

1/ DE QUOI S’AGIT-IL ?

« Le civisme, nous dit le Littré

c’est le sentiment qui fait les bons citoyens. C’est l’attachement à la Cité. » « C’est, dit le Larousse

 , le sens qu’a un homme de ses responsabilités et de ses devoirs de citoyen « . André Siegfried précise: « C’est le dévouement à la chose publique, en vertu duquel chacun, tout en revendiquant son quant-à-soi, estime devoir s’insérer dans une communauté et collaborer à la vie sociale ».

    Dans ces conditions, le Civisme n’est pas seulement une affaire de code à connaître et à respecter (encore que le respect du code de la route soit finalement un élément du civisme)

, c’est surtout une affaire d’attachement au BIEN COMMUN, donc de cœur.
    Le BIEN COMMUN, ce n’est pas seulement l’air, la rue, le jardin public et le métro…
C’est aussi et surtout l’ensemble des conditions sociales qui permettent à chaque citoyen d’atteindre son épanouissement : sauvegarde de la vie, sécurité intérieure et extérieure, santé, moralité publique, accès au travail, à l’instruction et à l’éducation, à l’aide aux familles, libertés essentielles correspondantes (de penser , de parler, de s’assembler, de pratiquer sa religion …) .

    Il est évident que le souci du bien commun implique, pour chacun, une certaine renonciation à sa liberté individuelle.

LES TROIS NIVEAUX DU CIVISME
Le Civisme est avant tout un ETAT D’ESPRIT qui doit pousser les citoyens :
· Au minimum, à ne pas gêner les autres, à ne pas perturber le fonctionnement extérieur de la société. C’est une attitude assez passive qui amène à ne traverser la rue que dans les clous, à ne pas jeter les papiers gras sur le trottoir, à respecter les feux rouges, les pelouses et les banquettes… C’est le premier niveau, élémentaire, du Civisme. Il concerne tous les citoyens en vertu de ce principe: « Il ne peut y avoir de droits pour chacun que si les autres se reconnaissent le devoir de les respecter ».
· Complémentaire du précédent, le deuxième niveau est celui de l’électeur, du contribuable, hier du jeune qui partait faire son Service National. Il correspond à l’obéissance aux lois. Il s’applique également à tous.
· Le troisième niveau ne concerne en revanche que ceux qui en ont le goût et les dons. Il s’agit d’ACCEPTER DES RESPONSABILITES dans la Cité en fonction de ses possibilités physiques et intellectuelles. C’est le niveau du pompier volontaire, du conseiller municipal, du dirigeant d’association, du maire ou du député…

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2/ LA CRISE DU CIVISME

Le Civisme est en crise notamment parce que:
– d’une part, l’individualisme a envahi nos cités avec le progrès matériel;
– d’autre part, le sens du bien commun n’est pas inné chez les enfants. Il faut le faire découvrir progressivement aux jeunes. Or, c’est ce à quoi beaucoup d’éducateurs répugnent, parents y compris, ou ne prêtent pas assez attention.
   Le résultat, c’est, pêle-mêle (et entre autres),

 la pollution des trottoirs et des lieux publics, l’abstention électorale, la fraude fiscale, les affaires, la montée de la délinquance et la difficulté de trouver des donneurs de sang et des bénévoles pour s’occuper des autres et du bien commun de façon désintéressée…

3/ L’EDUCATION AU CIVISME

    Le bambin qui découvre la vie a instinctivement le sens de sa propriété. Il est naturellement égoïste et il faut lui apprendre à accepter des copains sur le tas de sable, à prendre son tour sur la balançoire et à partager son gâteau …

    L’éducation au Civisme, c’est d’abord l’acquisition et l’entretien d’un certain savoir et de certains réflexes: respecter les jardins publics, les murs, les trottoirs , les banquettes… traverser au vert et dans les clous .. . accepter les droits de l’autre aux jeux collectifs… Payer son billet dans le Métro…

    C’est surtout l’acquisition d’un certain ETAT D’ESPRIT CIVIQUE.
Les deux domaines sont étroitement imbriqués car le fait de faire ou de ne pas faire certains gestes crée des habitudes, d’où procède l’état d’esprit. C’est tout petit qu’il faut apprendre à l’enfant à respecter et à promouvoir le bien commun. Cette initiation doit être progressivement approfondie, élargie et consolidée car rien n’est jamais acquis. Les adultes jouent à cet égard un rôle essentiel en donnant le bon exemple aux jeunes.
   L’éducation au Civisme apparaît ainsi comme une création continueet la TV pourrait participer, mieux qu’elle ne le fait, aux grandes campagnes d’incitation au civisme .

A L’ECOLE
    Après la famille, l’école est le lieu par excellence de la sociabilisation et de l’initiation au civisme. Celui où les enfants apprennent à dompter leur envie de remuer ou de parler, à respecter le maître et les autres, à acquérir des notions élémentaires d’ordre, d’hygiène, de discipline et les bases de la morale.
    Encore faut-il que les enseignants soient convaincus de leurs responsabilités en la matière et qu’ils soient formés en conséquence !

AU SPORT et DANS LES MOUVEMENTS DE JEUNESSE
    Appartenir à un équipe sportive. Accepter de venir à l’entraînement chaque semaine. Se plier à la discipline collective du jeu. Tirer ensemble sur les avirons. Pousser, les 3 lignes faisant bloc, dans la mêlée de rugby. Respecter les règles du sport pratiqué. S’incliner devant les décisions du capitaine d’équipe et de l’arbitre… Tout cela est déjà une excellente école d’éducation au civisme. C’est dans cet esprit que les Anglo-Saxons, férus de vraie démocratie, ont placé la pratique du sport à un tel niveau à l’école et à l’université.

 A cet égard et à beaucoup d’autres, on peut donc souhaiter que le sport (sport d’équipe notamment )

 soit davantage pris au sérieux en France, sous l’angle de la pratique entre amateurs s’entend ( et non des spectacles de TV…

)

   L’appartenance à un mouvement de jeunesse ouvre des perspectives éducatives complémentaires. Bien qu’il n’ait pas de monopole en la matière, prenons l’exemple du scoutisme. Saluer les couleurs tous les matins… Aligner les tentes quand on monte le camp… Ranger ses affaires pour qu’elles n’envahissent pas la place ( exiguë ) réservée aux autres sous la guitoune… Enfouir les détritus… Surveiller le feu pour éviter les incendies… Répartir les tâches entre les grands et les plus petits… Tenir sa place (au ralenti durant l’hiver et à plein durant les camps)

 dans une patrouille ou une sizaine, petite communauté à taille humaine…

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    Progresser, d’année en année, dans ce cadre favorable pour y découvrir progressivement la responsabilité et l’autorité conçues comme un service. Le tout dans une ambiance de vie simple et joyeuse, de respect et d’amour de la nature, d’appel permanent, non seulement à l’esprit d’aventure mais aussi et surtout aux Valeurs morales et spirituelles les plus hautes…
    Telles sont les caractéristiques générales de la pédagogie scoute. On ne saurait trop recommander aux parents d’inscrire leurs enfants dans l’un de ces Mouvements ( Il en existe de différentes sensibilités..

.).

    Qu’ils incitent même, le moment venu, leurs adolescents à assumer, à leur tour, des responsabilités d’encadrement des plus jeunes. C’est un remarquable élément de formation qui prépare ces bons citoyens du 3° niveau dont nos cités et notre pays ont tant besoin.

Il y a plus. Aujourd’hui où l’on cherche désespérément les moyens de remédier à la crise des banlieues, et où les maisons de la culture montrent leurs limites,

 ne faudrait-il pas se pencher sérieusement sur l’expérience de ces milliers d’hommes et de femmes qui ont été formés pour la vie dans les mouvements et les patronages ?

    L’Association JET (Jeunes en équipes de travail) constituait à cet égard un laboratoire en vraie grandeur. Face aux jeunes délinquants primaires qu’on lui confiait pour les arracher à l’atmosphère délétère de la prison, elle obtenait de bons résultats en appliquant les principes éprouvés d’une pédagogie de bon sens: discipline ferme mise en oeuvre avec bienveillance par un encadrement (fourni par les Armées) motivé et expérimenté, contact systématique avec la nature à travers le sport et le travail manuel, souci permanent de rendre leur dignité aux jeunes et de leur donner confiance en eux, tout en leur faisant prendre des habitudes de vie saine.
   Jet vient, hélas, de fermer, les Armées n’ayant plus les moyens de fournir l’encadrement. Il est, par ailleurs, de bon ton dans certains milieux de dénigrer ces méthodes (soi-disant « paternalistes » et « militaristes », pourtant éprouvées aux Chantiers de Jeunesse.)
    Devant la misère des jeunes déboussolés, elles pourraient être adaptées aux besoins et aux réalités d’aujourd’hui. Cela devrait constituer une voie de recherche prioritaire.

ET, PAR DESSUS TOUT, DANS LA FAMILLE
    La préparation au civisme est une éducation permanente. Elle concerne, ou devrait concerner, spécialement les jeunes.
    Il n’y a pas de recette spécifique pour enseigner le Civisme. L’éducation est un tout. Elle implique, entre autres un minimum de compétence, beaucoup d’amour et de la cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. Prétendre par exemple donner aux enfants des leçons de civisme et brûler un feu rouge devant eux, ou déclarer à table qu’on n’ira pas voter ou qu’on fraude le fisc, serait un contre-témoignage coupable…

    Cette cohérence, il faut aussi essayer de la susciter entre ce que les enfants entendent à la maison et ce qu’ils apprennent à l’école, au sport, dans les mouvements de jeunesse et à la TV, tous organismes qui ne dépendent pas de nous. Encore qu’on puisse souvent choisir l’école de ses enfants, leur club sportif ou leur troupe scoute. C’est plus compliqué pour la télé qui exerce une sorte de fascination pour eux et qui est donc devenue un élément important dans l’éducation, en positif ou souvent en négatif. 

L’apprentissage de l’usage de la télé est donc une nécessité éducative nouvelle.

Il devrait exister une éducation de masse au civisme, à travers les médias, mais ce qui est primordial, c’est d’enseigner le civisme à la maison et au fil des jours .

Comme le reste, le civisme s’enseigne très jeune, à petites doses, (gare à la saturation moralisante !

) mais souvent, dans la joie et la tendresse, et pas à coup de trique…

   Chez les tout petits, il faut d’abord inculquer des réflexes: on jette son papier de bonbon dans la poubelle et pas par terre… On respire les fleurs du jardin et on ne les casse pas… On traverse la rue dans les passages protégés et on passe au vert… On met ses pieds sous les banquettes et pas dessus etc…

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    Il y a certes un ETAT D’ESPRIT à créer chez les jeunes en faveur du bien commun mais cet état d’esprit-là commence par l’acquisition des réflexes feu vert / feu rouge …
 La politesse rejoint ici le civisme. Dire bonjour, notamment aux gens de la maison qu’on rencontre dans l’escalier; céder sa place à une personne âgée… ce sont des réflexes à retrouver car ils sont oubliés, même par beaucoup d’éducateurs…
    Dès 6 ans, le réflexe gestuel ne suffit pas. Il faut aussi inlassablement EXPLIQUER aux jeunes le POURQUOI des choses, dans le domaine du civisme comme ailleurs. Cherchons donc à saisir chaque occasion favorable. Par exemple, commentons si possible en positif un fait divers caractéristique, aperçu dans le journal par un enfant. Ou l’attitude « sportive » d’un joueur vu à la TV. Ou encore expliquons ce que va faire le cousin qui donne son sang.

    Essayons de traiter le civisme sous forme de leçons de choses mais n’abusons ni du terme civisme ni du monologue, et cherchons surtout à susciter l’attention des enfants et à les faire parler. Au moment de la déclaration d’impôts, faisons bénéficier nos apprentis-citoyens d’une initiation au civisme fiscal ! Montrons-leur à quoi sert l’impôt et que, le payer, c’est un devoir élémentaire de citoyen.

D’une façon générale, essayons d’expliquer aux jeunes comment marche la société dans laquelle ils vivent. Cet aspect des choses a été longtemps le seul auquel s’intéressaient les programmes scolaires avec l’étude du fonctionnement des Institutions et des collectivités locales.

 Les notions de bien commun et de responsabilité du citoyen en étaient évacuées. Suivons les nouvelles directives qui recommandent de former des citoyens responsables.

   Comment faire pour préparer les enfants à accepter des responsabilités dans la Cité.
Essentiellement sur le tas, de façon pragmatique et progressive. Confions très tôt de petites tâches aux enfants dans la maison et poussons-les à accepter ailleurs des responsabilités à leur mesure, au bureau des élèves, aux scouts, dans les équipes sportives. La préparation à long terme d’un camp ou d’une fête de classe est par exemple très éducative. L’initiation au civisme et l’apprentissage de la liberté et de la responsabilité vont de pair…

    Nos maîtres-mots sont donc : Traiter du civisme à dose homéopathique, commencer par apprendre des gestes, dialoguer en permanence, créer un état d’esprit, enseigner les leçons de choses du Civisme…
    Ayons le souci d’une éducation globale et enracinée dans la vie ; nous convaincrons progressivement tous les parents et éducateurs.

    Mais ce que nous appelons les Valeurs Fondamentales sont indissociables et l’éducation des jeunes au civisme resterait bien désincarnée si on ne la complétait pas par l’éducation à la générosité.

   Par ailleurs, une notion plus charnelle et plus chaleureuse qui s’appelle le patriotisme est, selon nous, inséparable du civisme. Si on n’ y introduit pas l’amour de la patrie, l’éducation au civisme restera ce qu’elle était jusqu’ici, notamment dans les programmes scolaires : une somme de connaissances techniques sans finalité profonde et sans âme …

    Comme disait Simone Weil , ( la philosophe ) 

:

 » Il faut donner aux Français quelque chose à aimer : LA FRANCE « …