Il paraît nécessaire de réhabiliter chez nous l’honneur, une notion apparemment oubliée.
Des générations d’hommes et de femmes ont pourtant essayé de mettre en pratique avant nous la définition du Littré: « L’honneur est le sentiment qui fait que l’on veut conserver l’estime de soi même et des autres« .
Cette définition connote indéniablement, comme dit Henri Hude, « un souci de distinction, un effort vers le haut, un désir de grandeur. » Il est donc triste que, pour trop de nos contemporains, ce concept semble non seulement inintelligible mais même suspect.
« L’honneur, dit un élève de 1°, ne joue plus un grand rôle dans notre société. Chacun a plutôt un autre souci en tête: la vie est plus importante que l’honneur« .
L’actualité nous montre cependant, « par défaut« , que l’Honneur doit rester un des piliers de notre existence individuelle et collective et qu’il est, plus que jamais, urgent de le faire revivre en nous.
1/ Différents types d’honneur
– l’honneur aristocratique.
C’est celui qui sacrifie l’intérêt personnel (amour y compris) au devoir.
Corneille le célèbre notamment avec le Cid, et Péguy le fera sien :
« Puissions nous, Ô régente, au moins tenir l’honneur
et lui garder, lui seul, notre pauvre tendresse…«
L’honneur était le principe de la société aristocratique. La démocratisation a sans doute contribué « à jeter le bébé avec l’eau du bain« , sauf dans certains milieux comme l’armée où il continue à être évoqué sans respect humain.
– l’honneur militaire
La devise de l’armée française est en effet « Honneur et Patrie » et on y honore le sacrifice des morts au champ d’honneur.
L’honneur est ainsi revendiqué comme une vertu militaire cardinale. C’est notamment la consolation du courage malheureux : « Tout est perdu fors l’honneur !« , disait François 1° après Pavie.
C’est en son nom que nos soldats avaient résisté victorieusement à Verdun et qu’ils ont livré les combats sans espoir de Mai /Juin 1940 et de Dien Bien Phu.
– l’honneur dans son métier
De façon moins dramatique, l’honneur d’un industriel, d’un artisan ou d’un commerçant consiste essentiellement à tenir ses engagements vis à vis de ses clients, ceux du cahier des charges, et vis-à-vis de ses employés, ceux du contrat de travail.
Il comporte donc les dimensions élémentaires « honnêteté » et « amour du bel ouvrage », ceux de la couturière, du maçon ou du peintre qui fignolent leur travail. Les compagnons du devoir en ont fait le centre de leur éthique professionnelle.
C’est aussi en son nom qu’est bannie la corruption active ou passive, celle, entre autres, du pot de vin offert ou accepté. L’honneur d’un commerçant qui faisait de mauvaises affaires lui commandait autrefois de refuser d’être mis en faillite; il tenait à dédommager ses créanciers sur ses biens.
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– L’honneur dans sa famille
Le B, A, BA de l’honneur familial est, pour les parents, de tenir leurs engagements de fidélité et de prise en charge en faisant preuve chacun de responsabilité vis-à-vis de son conjoint et de ses enfants. En échange, l’honneur des enfants, c’est de respecter leurs parents et de les assister, le cas échéant.
-L’honneur dans la vie publique
Tenir ses engagements est une forme élémentaire de l’honneur; la parole est à cet égard aussi sacrée qu’un engagement écrit.
S’agissant des avantages liés à l’exercice du pouvoir, la règle d’or des hommes publics est (ou devrait être) : « Servir et non se servir ».
– L’honneur à l’école
Il incite l’enfant à obtenir les meilleurs résultats scolaires possibles grâce à son travail sans faire appel à des tricheries. C’est lui qui interdit aux petits écoliers de souffler les réponses à leur voisin paresseux ou au lycéen de préparer des anti sèches. Il exclut de même toute forme de vol (même baptisé larcin…).
Le tableau d’honneur et le prix d’honneur d’antan allaient dans le même sens.
– l’honneur dans le sport
Il consiste de même à aller jusqu’au bout de ses forces mais en respectant les règles, les décisions d’arbitrage et l’adversaire, en évitant toute tricherie.
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D’une façon générale, l’honneur est signe d’une conception de la vie qui « tire les hommes vers le Haut ».
Le seul vrai honneur est le service des autres.
La société civile d’autrefois mettait son honneur à vivre en conformité avec un code social, écrit ou non, les chevaliers aussi bien que les artisans. On se sentait très lié par un engagement moral (comme la dette d’honneur).On en est très loin aujourd’hui.
2/ La crise de l’honneur
– L’honneur dévoyé
En Corse, en Sicile, au Maghreb, en Albanie et ailleurs, l’honneur consiste surtout, dit-on, à passer pour un homme redoutable que l’on n’offense pas impunément. D’ailleurs, un code social ancestral régit rigoureusement le traitement des conflits, au besoin dans le sang, la protection jalouse de la vertu des filles et le soutien des proscrits, notamment à travers l’omerta, la loi du silence. Cette conception caricaturale de l’honneur a probablement contribué à affaiblir la portée du vrai honneur.
– L’honneur aristocratique
Il a parfois été dévoyé en orgueil nobiliaire et esprit de caste, aboutissant à des comportements mégalomaniaques et quelquefois suicidaires qui amenèrent longtemps la fleur de notre jeunesse à s’entretuer pour des broutilles…
– Honneur et honneurs
Par ailleurs, dans tous les milieux, la passion de l’honneur peut dégénérer en passiondes honneurs… A cet égard, le désir de hautes charges peut conduire des personnes de grande qualité à se déshonorer. Il faut donc bien distinguer entre honneur et ambition et ne pas séparer noblesse de sentiments, générosité, simplicité et gentillesse.
A défaut, le sentiment de l’honneur devient vite morgue hautaine et préjugé de caste.
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– L’honneur militaire en question
Des facteurs politiques ont souvent compliqué la vision militaire de l’honneur, d’où de douloureux cas de conscience dans certaines circonstances.
En 1940/42, au sein de promotions formées dans le même moule, certains officiers ont mis leur honneur à obéir et d’autres à désobéir. Ceux d’Algérie ont connu le même déchirement en 1961/62 comme leurs grands anciens lors des inventaires des églises en 1905.
Sur un autre plan, les antimilitaristes relèvent volontiers que ce vocable a couvert des entreprises néfastes : les charges stupidement héroïques de nos cavaliers, d’Azincourt à Reichshoffen, ou le sacrifice de commandants se faisant un devoir de rester sur leur passerelle pour couler avec leur bâtiment ; sans parler, dans un autre domaine, de ce qui a été, hélas, baptisé en 1941/ 42 : « la Collaboration dans l’Honneur« …
– L’honneur dans sa famille, dans son métier et dans la vie publique
Aujourd’hui, hélas, beaucoup de gens ne se sentent plus liés par les promesses qu’ils avaient faites en fondant une famille. Le divorce est banalisé, l’abandon d’enfants n’est pas rare et même le refus de payer les pensions alimentaires est fréquent.
Il en est de même dans le domaine professionnel et dans les affaires publiques. De puissants personnages confondent leur bourse personnelle avec la caisse de leur entreprise ou de leur parti. La corruption est généralisée. Des affaires en tous genres assombrissent notre vie nationale et démontrent l’affaiblissement de la simple honnêteté – chez beaucoup de nos responsables politiques et économiques et chez les particuliers. L’exemple qu’ils donnent est déplorable, d’autant que ces scandales sont (souvent abusivement) médiatisés.
– L’honneur à l’école
Il y a toujours eu des (mini) conflits de devoir pour les enfants à l’école, ne serait-ce que quand le maître demande à l’auteur d’un méfait de se dénoncer sous peine de punition collective, que le coupable refuse et que la classe est tiraillée entre justice et solidarité.
De nos jours, s’y ajoutent malheureusement la « fauche » qui est devenue un fléau scolaire dès les petites classes, et la tricherie qui sévit partout, y compris lors des examens.
– L’honneur dans le sport
L’idéal olympique était splendide mais la professionnalisation du sport et le développement du sport-spectacle ont abouti à des abus criants comme le dopage sportif, et les trafics d’argent liés par exemple au rachat de joueurs vedettes.
– L’honneur dans la vie politique
Sans parler des innombrables retournements de vestes liés au jeu politique, on doit dénoncer l’écart fréquent entre les promesses publiques de certains candidats aux élections (démagogie) et leurs comportements dès lors qu’ils sont élus et investis de pouvoirs. Tout semble se passer comme si les mots honneur et politique étaient antinomiques.
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-L’honneur des nations
Cette crise est perceptible aussi à l’échelon des Nations. Autrefois, au nom de l’honneur national, on se déclarait la guerre pour un coup de chasse mouches (Alger 1830
) ou pour le libellé d’une dépêche qu’on estimait injurieux (Ems 1870
). Aujourd’hui, nos démocraties préfèrent se déshonorer que courir un risque. De 1945 à 1979, elles ont laissé les mains libres à l’URSS pour écraser les tentatives de révolte des Hongrois, des Tchèques, des Polonais et des Allemands de l’Est. La menace nucléaire a inhibé notre velléité de les aider.
On peut en revanche se demander pourquoi la communauté internationale répugne à intervenir sérieusement aujourd’hui au Soudan et ailleurs.
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UN SONDAGE SUR L’HONNEUR
Un récent sondage sur la vision moderne de l’honneur chez les jeunes montre que ceux-ci ne récusent pas l’honneur (86% affirment aimer ce qu’évoque le mot lui même) mais que le contenu de celui-ci a profondément évolué.
QUELQUES SITUATIONS FAISANT HONTE:
Laisser attaquer un ami 70%, être obligé de se mettre nu 66%, trahir ses idées 51%, trahir un secret 48%, être pris en train de mentir 34%, se faire gifler 33%, ne pas payer ses dettes 30%, mentir 28%, se faire accuser d’avoir triché 25%, tricher 24%, voyager sans billet 20%, être mal habillé 16%, être mauvais élève 10%, montrer qu’on a peur 7%, avoir peur 5%, être dans la rue avec quelqu’un qui se fait remarquer 4%, avoir un père au chômage 2%.
LE COMBLE DE L’HONNEUR
– Pour un savant : renoncer à une découverte qui peut être dangereuse pour les hommes 51% – faire une découverte qui peut sauver la vie des hommes 48%
– pour un soldat : accomplir un exploit à la guerre 42% – refuser de faire une guerre injuste 57%
– pour un sportif: abandonner une course pour aider un camarade en difficulté 73% – gagner une compétition 25%.
La notion d’honneur n’évoque plus guère l’exploit, le dépassement, la passion ou la soumission à un code.
L’honneur des lycéens s’est affadi en crainte du « Qu’en dira t-on ? »Il fait plus appel à des principes d’authenticité et de dignité personnelles qu’à la gloire, la reconnaissance sociale ou la fidélité à une tradition. Accusés injustement d’un délit, ils déclarent qu’ils dénonceraient le coupable. En revanche, c’est la honte personnelle qu’ils redoutent, plus qu’une atteinte à la justice sociale ou aux droits de l’homme, et sans faire appel, comme les anciens, aux notions d’héroïsme, d’abnégation et de devoir.
***Sollicitée de donner son avis sur ce sujet, une de nos amies, étudiante en philosophie âgée de 20 ans, écrit :
L’HONNEUR OU LA PETITE BETE DU COMMUN DES MORTELS
Marie Terrenoir
» L’honneur a la patine usée et confortable des mots usés par le temps. Il est l’apanage des héros, des martyrs et des guerriers. Pour nous, commun des mortels, semble plutôt s’appliquer la vieille maxime : « Loin des yeux, loin du cœur.«
En effet, généreux en belles paroles lorsqu’il s’agit d’hypothétiques combats pour l’honneur en des situations aussi lointaines qu’imaginaires, nous avons tendance à remettre à la prochaine guerre sollicitant nos services la défense de nos grands principes moraux. Défendre mon pays, mes convictions ? Bien entendu… quand l’occasion se présentera.
A notre décharge, admettons que, dans la vie de tous les jours, nous avons peu de chance de pourfendre sabre au clair la canaille sanguinaire, à moins de faire le pied de grue dans les ruelles sombres entre minuit et quatre heures.
Heureusement pour nous, pauvres pékins, être fidèle à son honneur est une question de détails. Bien moins exaltant penserez-vous, oui mais bien plus laborieux !
L’honneur, c’est la fidélité à nos convictions. Comme, sauf infime exception, aucun de nous ne tue, vole ou escroque régulièrement, les carences d’honneur se cachent derrière ces petites choses insignifiantes et agaçantes, ces habitudes et ces détails que l’on ne voit même plus. Nous qui, à coup sûr, donnerions nos vies sans rechigner pour les droits de l’homme ou le respect des lois, sommes plus coulants envers ces petites choses qui « ne tuent personne ».
Mais quelles petites choses ? En réponse, un petit micro trottoir :
» Tiens, le prix des CD a encore augmenté ! Quand on pense aux pigeons qui vont encore à la FNAC alors qu’il est gratuit de les graver ou de les « choper » sur internet ! »…
» Prendre un ticket, tu plaisantes ! Il n’y a pas de contrôleurs à cette heure ; en plus, pour deux stations, il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! »…
» Ouaouh, tu as vu la femme sur la pub ? ».
Les intéressés ne feront pas de commentaires.
L’honneur est décidément une petite bête bien agaçante… »
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3/ POUR LA REHABILITATION DU SENS DE L’HONNEUR
Le sondage précédent n’a évidemment qu’une valeur indicative. Malgré sa teneur, il montre que beaucoup de jeunes restent épris d’idéal, tel cet élève qui écrit :
« L’honneur, c’est le sentiment de vouloir conserver tout ce qui fait la dignité humaine, la fierté d’être en accord avec soi même. »
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Bien qu’on sache qu’il y a un abîme culturel entre les générations pétries de Corneille et de Péguy et celles qui ne regardent que la télévision, on ne peut pas accepter sans réagir que les préoccupations de trop de nos contemporains soient apparemment éloignées du souci de distinction, de l’effort vers le haut et du désir de grandeur, bref de ce qui fait la grandeur de l’homme.
Nous pensons que les Valeurs constituent ensemble un système cohérent et sont donc inséparables. La réhabilitation du sentiment de l’honneur va de pair, croyons-nous, à l’échelon individuel, avec celui du courage, du sens de la responsabilité ou de la générosité, et, sous un angle collectif, celui de l’autorité, de la famille et du civisme…
Cela dit, s’agissant de l’Honneur en 2005, l’effort de rééducation éthique nous parait à porter d’abord sur deux points :
Exaltation de la loyauté et refus du mensonge et de la tricherie
Encouragement à respecter ses engagements.
Cette action devrait se traduire par des actions adaptées à l’âge et à la mentalité des cibles.
o S’agissant des enfants,
notre effort d’éducation devrait d’abord porter sur l’apprentissage de l’honnêteté dans tous les domaines, en commençant par la chasse aux mensonges, aux larcins et aux petites tricheries.
C’est d’abord une affaire d’incitation au quotidien.
Saisissons par exemple toute occasion de réagir quand nous les voyons revenir à la maison avec un jouet, un article scolaire ou un blouson qui n’est pas à eux.
Incitons-les aussi à débarrasser l’école de la tricherie scolaire si répandue qui est une préparation néfaste pour la vie civique.
Il faudrait en même temps, les inciter à être fidèles à leurs engagements : assiduité aux entraînements sportifs, aux répétitions de chorales, aux services ou activités auxquels ils ont été volontaires pour s’inscrire et qu’ils doivent rendre ou suivre de façon régulière.
Aidons-les à ne pas faire systématiquement comme les autres dans les petites choses de la vie, pour les préparer à l’indépendance d’esprit qui leur sera indispensable plus tard.
Alors qu’ils passent plusieurs heures chaque jour devant le petit écran, amenons les à exercer leur esprit critique vis à vis de la télévision.
Incitons-les à faire du sport en leur montrant que l’apprentissage du respect de la règle du jeu, de l’adversaire et des décisions d’arbitrage est important dans leur formation globale, autant que l’assouplissement et l’endurcissement du corps…
Rappelons-leur que les mouvements de jeunesse offrent un important complément éducatif et que la loi scoute est un véritable code d’honneur à leur usage
Il va de soi que cet effort d’incitation est inséparable de l’exemple à leur donner.
On enseigne l’honneur, comme le reste, en le vivant.
Le contre témoignage des éducateurs en matière d’honnêteté est la pire des choses qu’il s’agisse de travail au noir, de voyage sans billet ou d’indélicatesse…
o En ce qui concerne les adultes,
Si l’éducation précédente leur a manqué, il sera difficile de rattraper les mauvaises habitudes prises. Nous pouvons cependant saisir toute occasion de dire nos convictions, sans apparaître désagréablement moralisateurs.
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Dans ce domaine, l’humour, la fermeté et la simplicité sont nos meilleurs atouts.
De même que des gens se dévouent pour ramasser les papiers gras et les canettes vides dans les jardins publics pour réduire la pollution matérielle, cherchons à être les artisans patients, souriants et mesurés mais déterminés d’une campagne permanente contre la pollution morale en commençant par notre entourage.
· Essayons de promouvoir la vérité et l’honnêteté autour de nous.
Alertons nos amis sur les différentes formes de désinformation (voir Lettre à Agnès sur la guerre des idées dans les « Lettres à mes petits enfants sur les sujets qui fâchent « ),
(1)
sur la corruption (voir Lettre de Mai 04 de France-Valeurs
)
· Montrons le danger de l’incivisme que représentent le vol et la tricherie sous toutes ses formes.
· Essayons de montrer l’importance de la fidélité aux engagement pris et à la parole donnée :
– dans la famille
– dans les affaires
– dans la vie publique…
· Travaillons aussi inlassablement à obtenir que la TV mesure ses responsabilités éducatives. Réclamons en particulier qu’elle montre, en plus des idoles classiques, vedettes du sport ou de la chanson, des modèles qui soient aussi des exemples sympathiques…
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Recommandation générale
Au lieu de nous lamenter sur le malheur des temps, comme nous le faisons trop souvent, ce qui nous peut nous rendre aigris et malheureux, travaillons à transmettre nos richesses à nos descendants et à leurs amis.
C’est une affaire de conviction et de rayonnement personnels mais surtout une affaire d’écoute délicate et patiente des gens, des jeunes notamment, de progression à petits pas en partant de ce qu’ils vivent pour obtenir leur confiance et leur proposer nos Valeurs, en essayant de les rendre sympathiques, sans grands discours mais par l’exemple souriant et l’opiniâtreté.
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